Procès contre Total Énergies et Danone : La loi sur le Devoir de vigilance accélère la juridicisation de la RSE des multinationales avec pour talon d’Achille leurs filiales africaines

 

A cause de la loi française sur le Devoir de vigilance et en attendant la très ambitieuse Directive Européenne à ce sujet, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) a déjà basculé dans l’ère de la juridicisation.

 

Total Énergies et Danone, deux poids lourds du CAC 40 sont déjà au tribunal pour « insuffisance » de leur Devoir de vigilance selon les ONG qui les traînent en justice.

 

L’excellent « Guide juridique de la RSE » publié l’année dernière par le cabinet d’avocat GIDE dresse les contours de cette juridicisation de la Responsabilité Sociétale des Entreprises avec des cas très intéressants. 

 

Devoir de vigilance : de la France pionnière à la grande ambition de l’Union Européenne 

 

Le 24 avril 2013, l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh avec la mort de 1 100 salarié.e.s va créer une onde de choc dans le monde et particulièrement en Europe. 

 

Cet immeuble abritait des usines textiles de sous-traitants et de fournisseurs de grandes marques européennes.

A cause de ce drame et de son fort impact médiatique, la France va adopter en 2017, la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Une première mondiale. 

 

D’après cette loi, toute société qui emploie 5 000 salarié.e.s en France ou 10 000 salarié.e.s en son sein et dans les filiales doit établir et mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance : « Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement des activités de l’entreprise, de celles de ses filiales ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie. »

 

Le 23 février 2022, la Commission Européenne a publié sa proposition de Directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité qui a une portée extraterritoriale et s’applique aux pays tiers.

 

Elle concerne « les obligations des entreprises quant aux incidences négatives réelles et potentielles sur les droits de l’homme et aux incidences négatives sur l’environnement, en ce qui concerne leurs propres activités, les activités de leurs filiales et les opérations de la chaîne de valeur réalisées par des entités avec lesquelles l’entreprise entretient une relation commerciale établie. »

 

Elle s’applique aux entreprises établies au sein de l’Union Européenne de plus de 500 salarié.e.s et qui réalise un chiffre d’affaires net de plus de 150 millions d’euros.

 

Elle cible également les entreprises qui réalisent plus de 50 % de leur chiffre d’affaires dans les secteurs d’activités suivants : industrie textile, agriculture, bois, agro-industrie, pêche, chaussure, industries extractives (gaz, charbon, pétrole, etc.), produits chimiques,... qui emploient plus de 250 salarié.e.s et dont le chiffre d’affaires est de 40 millions d’euros. 

 

Selon la Commission Européenne, 13 000 entreprises seraient concernées au sein de l’UE et 4 000 dans les pays tiers.

 

Total Énergies et Danone vs ONG : du juridique au médiatique

 

Le 7 décembre 2022 s’ouvrait à Paris le premier procès sur le Devoir de vigilance. 

 

Les ONG françaises Survie et Les Amis de la Terre ainsi que 4 ONG ougandaises attaquent le groupe Total Énergies sur son plan de vigilance dans le cadre du East Africa Crude Oil Projet (EACOP) / Tilenga qui est un méga projet réalisé par la major pétrolière en Ouganda et en Tanzanie.

Il prévoit le forage de 426 puits de pétrole, la construction sur 1 443 km du plus grand oléoduc chauffé au monde et l’expropriation des terres. 

 

Prévu le 28 février 2023, le verdict sera forcément très attendu.

 

A la surprise générale, le lundi 9 janvier 2023, trois ONG (Surfrider Europe, ClientEarth et Zero Waste France) assignaient au tribunal de Paris le Groupe Danone.

 

Comme le rapporte le quotidien Les Echos, celles-ci souhaitent que le groupe soit « condamné à publier un nouveau plan de vigilance intégrant une trajectoire de déplastification sous peine d’une astreinte de 100 000 euros par jour de retard. » Et conformément, à la portée extraterritoriale de la loi française sur le Devoir de Vigilance, l’Avocat des ONG exige que la major agroalimentaire « mène des actions de déplastification dans toutes ses filiales dans le monde. » 

L’avenir du méga projet EACOP, avec ces millions d’euros déjà engloutis et le déplacement en Afrique pour son inauguration du PDG du Groupe Total Energies en personne ainsi que le degré de déplastification du Groupe Danone restent donc suspendus à l’interprétation par les juges français des 3 pages de la Loi sur le Devoir de vigilance.

 

Pour ces multinationales, la bataille est non seulement juridique mais aussi médiatique. 

 

C’est en tout cas la stratégie de leurs adversaires. 

 

Selon Olivia COPPIN, Fondatrice de l’agence Juste Business, qui a accompagné les ONG contre Danone « pour remporter la bataille judiciaire, la bataille médiatique compte aussi. »   

 

Sur sa page Linkedin, la dirigeante ne cache pas sa fierté suite à l’obtention de 200 retombées presse en 24h pour le dossier Danone.

 

Il s’agit d’une alerte importante pour les multinationales qui doivent désormais éviter d’autres procès sur le Devoir de vigilance et surtout composer avec certaines parties prenantes qui veulent la transformation immédiate des business model indépendamment des contraintes techniques, financières ou organisationnelles.

 

L’une des urgences est de revoir la stratégie RSE et impact des filiales africaines qui sont actuellement les maillons faibles des sociétés transnationales et un gisement inépuisable de procès. 

 

Les filiales africaines, talon d’Achille RSE des multinationales françaises et européennes face au Devoir de vigilance

 

Peu de cadres et dirigeant.e.s des filiales africaines de multinationales font de la RSE une priorité. 

 

Ils / elles sont encore dans le business as usual et sourds aux mots transition et transformation, désormais tendance aux sièges de leurs entreprises. 

 

Pire encore, très peu de cadres et dirigeant.e.s de ces filiales africaines connaissent la politique et stratégie RSE de leur Groupe.

 

C’est en tout cas ce qui ressort de toutes nos enquêtes auprès des Comités de Direction (CODIR) dans le cadre de nos missions RSE.

 

D’ailleurs, faut-il les blâmer ? 

 

Les sièges accordent quelle priorité à la formation et sensibilisation régulières de l’ensemble des cadres et dirigeant.e.s de leurs filiales africaines sur la RSE ainsi que l’importance de cette démarche pour l’entreprise ? C’est pourtant la base.

 

En dehors de la politique globale du Groupe, combien de multinationales peuvent présenter une stratégie RSE de chaque filiale issue d’un diagnostic sérieux avec consultation des parties prenantes ? 

 

Quelle multinationale a pris la peine de démontrer à ces filiales en Afrique que les résultats ESG (Environnement, Social et Gouvernance) sont aussi importants que ceux financiers ?

Combien de plans de vigilance des filiales africaines ont réellement fait l’objet d’une analyse approfondie des risques y compris des activités de leurs sous-traitants / fournisseurs locaux et sont pilotés avec la rigueur nécessaire ? 

 

Qui au siège des groupes se soucie vraiment que les valeurs éthiques et de bonne gouvernance constituent l’ADN du pilotage des filiales africaines sur la base d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs ?

 

En attendant, la plupart de ces filiales, grâce à leur énorme budget de communication sont les champions du social-green washing et les leaders de la RSE cosmétique en Afrique.

 

Face à leur toute puissance, peu de parties prenantes locales y compris gouvernementales trouvent à redire.

 

Pourtant dans un contexte africain de faible gouvernance et transparence, de fortes attentes sociales, de demande d’emplois formels largement supérieure à l’offre, d’un rapport inégal entre les parties prenantes, de fortes dépendances des recettes fiscales à quelques secteurs économiques et où les sollicitations indues sont importantes, où les cadres et dirigeant.e.s des filiales multinationales sont parfois considéré.e.s comme des « dieux » à cause de leurs rémunérations importantes par rapport au niveau de vie dans les pays et du poids économique (forte contribution au PIB, aux impôts, etc.) et social (principaux pourvoyeurs d’emplois formels, etc.) de ces filiales, où certaines grandes entreprises pratiquent des délais de paiement exagérément longs, où le recours à l’intérim pour des emplois pourtant permanents est la norme, où les droits des salari.é.e.s notamment du bas de pyramide sont parfois bafoués, où la santé et la sécurité n’ont pas toujours le niveau d’exigence espéré, où le harcèlement sexuel et moral en milieu professionnel peut-être banalisé, où les entreprises peuvent polluer sans être trop inquiétées et où les prix bas sont la norme dans le cadre des appels d’offres au détriment des impacts sociaux et environnementaux, les conditions sont réunies pour que les exigences de la loi sur le Devoir de vigilance ne soient pas respectées.   

  

Il faut que les sièges soient beaucoup plus rigoureux et exigeants par rapport aux pratiques éthiques, RSE et de bonne gouvernance de leurs filiales africaines. 

 

Les groupes doivent aussi acter que certaines filiales soient parfois moins performantes financièrement parce que dans le contexte africain, il arrive régulièrement que les entreprises financièrement les plus performantes soient celles qui sont les moins alignées sur les règles éthiques, environnementales, sociales et de gouvernance. 

 

Il faut donc revoir les critères de performance des cadres et dirigeant.e.s des filiales africaines pour que leurs recrutements, rémunérations, évaluations et promotions se fassent aussi sur les enjeux de durabilité et au même niveau que la performance financière.

 

Dans le cas contraire, il faudra se préparer à la multiplication des procès pour non-respect du Devoir de vigilance. 

 

Et quel que soit l’issue de ces batailles juridiques, celles médiatiques seront perdues d’avance par les multinationales.

 

Thierry TÉNÉ

Associé et Directeur

 

Afrique RSE

 

Lauréat du prix spécial ISAR 2022 de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) dans la catégorie internationale 

 

Co-fondateur de la plateforme digitale de RSE intégrée et du label Doing Good In Africa (DGIA) : https://doinggoodinafrica.com

 

Tel / Whatsapp :  +33 6 75 37 49 67 

 

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