La politique RSE des filiales doit-elle obligatoirement être alignée sur celle du Groupe ?

« On ne peut pas dire que la filiale n’a pas de politique de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) car celle du groupe s’applique à l’entité locale » : Telle a été la réponse du Groupe quand elle a été informée que dans le cadre de l’une de nos missions sur la RSE, nous proposions une politique RSE, à l’issue de diagnostic et du plan d’actions, à l’une de leurs filiales africaines.

La situation était très délicate car sur la base des faits, il était évident pour nous que cette filiale n’avait pas de politique RSE. 

Mieux encore une enquête auprès des membres du Comité de Direction (CODIR) avait mis en exergue non seulement l’absence de connaissances de ces haut.e.s cadres sur la RSE mais aussi leur méconnaissance totale de la politique RSE du groupe.

Importance de la prise en compte attentes des parties prenantes 

A l’heure où sous la pression de la législation, des investisseurs et des citoyen.nes, la RSE devient une priorité pour les multinationales notamment en Europe, il est utile d’approfondir la réflexion sur l’alignement strict de la politique RSE des filiales sur celle du groupe.

La législation européenne en matière de RSE met plus l’emphase sur le reporting et la data mais moins sur les engagements des entreprises envers leurs parties prenantes.

Or l’ADN de la RSE c’est quand même de répondre aux attentes des parties prenantes après le respect de toute la législation économique, fiscale, sociale et environnementale.

Et les parties prenantes principales d’une organisation sont d’abord locales. 

Pourtant les politiques RSE des Groupes sont fortement impactées par les problématiques majeures de leurs pays d’origine.

Priorités environnementales au Nord et sociales au Sud

Les enjeux environnementaux par exemple sont actuellement prioritaires en Occident alors qu’en Afrique, ce sont les enjeux sociaux et sociétaux qui sont prioritaires pour les parties prenantes.  

Et même sur la question centrale environnementale, les priorités du groupe et des filiales africaines peuvent ne pas être alignées sur certains points. 

En phase avec l’Accord de Paris et sous la pression, les multinationales s’engagent fortement sur les objectifs globaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

Il est donc important que leurs filiales africaines soient dans cette dynamique. 

Mais dans le même temps, ces dernières contribuent massivement à la perte et à la dégradation de la biodiversité (terrestre, fluviale et marine) à cause des effluents et des déchets qui sont rejetés dans la nature parfois sans aucun traitement de base.

Alors que les groupes se mobilisent prioritairement sur la décarbonation de leurs activités, leurs filiales africaines, doivent en même temps accorder une priorité similaire à la préservation de la biodiversité et au traitement des déchets avec les moyens humains et financiers qui vont avec.

Quelle matérialisation au niveau local des engagements de la politique RSE du groupe ?

Un autre enjeu de l’alignement de la politique RSE des filiales sur celle des sièges est la matérialisation au niveau local des engagements du groupe.

Prenons un cas concret pour illustrer nos propos.

Plusieurs multinationales présentes en Afrique se positionnent aujourd’hui sur l’économie circulaire. Ce qui est très bien.

Sauf qu’en Afrique, s’engager dans l’économie circulaire nécessite un fort leadership et la mise à disposition des moyens par l’organisation qui a cette ambition car il faut embarquer les équipes dans cette nouvelle vision, bouger la culture de l’entreprise, collaborer avec les universités, créer un écosystème local sur l’économie circulaire, accompagner la structuration des filières de valorisation et même impulser la modification de certains articles des lois environnementales tout ceci en produisant les rendements financiers importants attendus par le groupe. 

La réussite d’une telle transition vers la circularité dans les filiales africaines nécessite donc du temps, des moyens et un soutien important du siège sur le long terme. 

Quand les multinationales s’engagent pour l’économie circulaire, ont-elles pris le temps d’analyser les modalités de mise en œuvre de cet engagement dans chacune de leurs filiales africaines ?

Cette question reste d’ailleurs valable pour chaque composante de la politique RSE des groupes où on note aujourd’hui une asymétrie des priorités et pour le coup un non-alignement des enjeux stratégiques entre les sièges qui évoquent la transition vers la durabilité de leurs business model alors que leurs filiales africaines sont à fond dans le business as usual.

Quid de la politique RSE des holdings et des groupes diversifiés ?

L’autre enjeu d’une politique globale de RSE pour un groupe diversifié est son alignement sur les différents secteurs d’activités ou business unit. 

Pour une holding qui a des activités dans les télécoms, l’agro-industrie, l’énergie et la logistique par exemple, chaque business unit devrait normalement avoir sa propre politique RSE car les enjeux et les attentes ne sont pas forcément identiques dans les différents contextes africains. 

Et même à l’intérieur d’un secteur d’activité, il peut avoir un besoin d’affinement de la politique RSE. 

Prenons le cas d’une entreprise brassicole qui produit également de l’eau minérale comme c’est majoritairement le cas en Afrique. 

Le segment eau minérale qui consiste à exploiter une ressource naturelle peut et doit être considéré comme une industrie extractive au regard de la question centrale communauté et développement local.

D’ailleurs même pour l’analyse des risques, les communautés environnantes de la localité où l’eau est exploitée (en général en zone rurale) ont une pression plus forte sur l’entreprise alors que ce n’est pas le cas pour les usines de production des boissons qui utilisent également beaucoup d’eau provenant du réseau ou des forages urbains.

Les enjeux de la politique RSE ne sont pas forcément identiques si la même agro-industrie produit le sucre et l’huile de palme. Cette dernière commodité étant au cœur d’une bataille commercialo-écologique entre plusieurs parties prenantes internationales, la politique RSE de cette business unit ou filiale devrait être plus ambitieuse et mieux affinée que celle de l’activité sucrière.

A l’heure où les entreprises africaines commencent à réaliser des diagnostics RSE sérieux, il est évident que la question de l’alignement de la politique RSE des filiales sur celle des groupes deviendra un sujet de préoccupation majeure pour les multinationales et leurs entités locales. 

Ce sera également le cas pour les différentes business unit au sein d’une Holding. 

Formation des cadres africain.e.s et diagnostic RSE des filiales : une urgence

La logique top down d’élaboration et de déploiement des politiques RSE des groupes pourrait vite montrer ses limites si on n’y associe pas une dynamique bottom-up.

Pour cela, il faut que la voix des filiales compte et que la définition de la stratégie RSE des groupes soit plus inclusive. 

L’urgence est donc de former les cadres et dirigeant.e.s de ces filiales et des différentes business unit sur la RSE. 

Ensuite il faut s’appuyer sur les consultant.e.s qui maîtrisent la culture et les enjeux de la RSE dans le contexte africain pour la réalisation des diagnostics RSE sur un périmètre représentatif de la sphère d’influence de l’entreprise ou de la business unit.

Lorsque toutes les entités locales et les différentes business unit importantes auront réalisé des diagnostics RSE sérieux et que les cadres et dirigeant.e.s de ces structures africaines seront bien formé.e.s et outillé.e.s sur la RSE, ils/elles pourront mieux contribuer à la re(définition) / consolidation de la politique RSE des groupes ou des holdings au regard des différentes réalités locales et des enjeux RSE pour chaque secteurs d’activités.

Ceci garantira la meilleure appropriation et réussite des politiques RSE des groupes qui restent encore perçues par les cadres et dirigeant.e.s africain.e.s comme une priorité du siège et pas forcément pour leurs entités locales.  

Thierry TÉNÉ

Associé et Directeur

Afrique RSE

Lauréat du prix spécial ISAR 2022 de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) dans la catégorie internationale 

Co-fondateur de la plateforme digitale de RSE intégrée et du label Doing Good In Africa (DGIA) : https://doinggoodinafrica.com

Tel / Whatsapp :  +33 6 75 37 49 67 

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